mardi 11 juin 2013

Home sweet home

" Qu'est-ce que je peux faire? J'sais pas quoi faire ! "



Le chat sans nom
On rentre à la maison. Les anglais ont deux mots pour désigner la maison. Ils ont house, et ils ont home. C'est une distinction qu'il nous manque à nous petits français, ou grands français, whatever. Nous n'avons pas la nuance du "chez soi" et de la maison en elle-même. Je rentre à la maison, je rentre dans une maison. Etre délocalisée, avoir migré. Penser être capable d'être partout chez soi, et finalement ne s'y sentir nulle part. Tu vois je cherche une habitude dans le changement, et je vis en contradiction. J'ai peur de partir mais je ne sais pas rester, je ne sais pas poser mes valises et pourtant je ne supporte plus de les faire. Et puis le manque ce n'est pas l'amour, c'en est une forme mais pas la finalité, du moins ça ne devrait pas. Et puis peut-être que si au fond, que l'idée de l'amour nous va mieux, qu'ici nous nous étouffons à vivre si proches, à supporter la famille alors qu'on devrait l'apprécier. Et puis embrasser par habitude alors que c'était si loin alors, si désirable et impossible. Nous avions un feu dans la poitrine, on sentait par l'absence que ça faisait mal d'être loin, de ne pas pouvoir serrer les chagrins et les rires dans nos bras en personne, et seulement effleurer des mots derrière l'écran trompeur. Mais nous ne trompions pas, nous étions si sincères. Nous écrivions des cartes postales en y mettant du cœur, et puis nous sommes rentrés.
Lille, la belle Lille
Comment aime-t-on de prés? Sais-je encore embrasser, sais-je encore donner de mon temps et de mon corps? A quelle heure tu reviens, à quelle heure je te vois ce soir? Pourquoi tu ne ris plus avec moi comme avant? Pourquoi t'enfermes-tu dans ta chambre des heures, nous parlions mieux quand j'étais loin. Pourquoi tu n'as pas l'air heureux que je sois là? Et toi, toi qui ne disait mot quand je suis partie, tu marches à présent presque seul sur tes petites jambes d'enfant. Tu cries dans mes oreilles et je m'attendris encore, cela faisait si longtemps. Dans dix minutes j'en aurai assez, dans dix minutes je voudrai pleurer car je suis la seule ici à ne pas savoir t'arracher un sourire, mon visage ne t'est pas familier, pourtant j'en suis, de ta famille. Je ne sais pas où sont les assiettes, elles sont où mes affaires d'ailleurs ? Comment tu fais pour ouvrir le grenier, pourquoi tu as mis ça là? Tu m'aideras à conduire, j'ai oublié. Si, ça me manque la Finlande, mais je fais en sorte d'oublier. Où tu vas sans moi? Ah bon, il a fermé ce magasin? Ils ont démoli ce bloc, je l'aimais bien pourtant. J'aimerais bien dormir là cette nuit, ça dérange? Et puis, tu peux me prêter un oreiller ? Tu m'as tourné le dos toute la nuit, je me suis sentie invisible. Oui, je vais ranger mes chaussures. Le verrou des toilettes fonctionne mal, je suis restée enfermée, je ne savais pas ! Je sais tu es occupé, on verra plus tard. Peut-être qu'on peut se voir demain. J'ai besoin de calme, je dois aller où pour être un peu tranquille? Oui, je range les clés, une seconde.
Et ensuite, je me range où, moi?

David's drawing on my cupboard in Oulu
     Parce qu'il ne faut pas s'y méprendre, à vingt ans, un peu plus, un peu moins, nous sommes des mutants, des entre-deux coincés entre la vie adulte, et notre vie d'ados. Nous sommes un peu ingrats, un peu fainéants, un peu sensibles, un peu responsables et irresponsables, un peu cons, un peu insouciants, mais aussi très mélancoliques. On n'est pas tous pareils, mais on se ressemble. On est coincés entre un moi et un futur moi, un brouillon, un temps de choix qui nous paraissent insurmontables mais qu'on enviera bien plus tard. Je dis nous par habitude, je parle de moi au fond. Je suis entre deux mondes, entre deux maisons, entre deux moi. Ça donne envie de se laisser vivre, d'oublier de se demander un peu ce qu'on fait là, mais c'est justement dans ces moments là qu'on se pose le plus de questions. De loin rien n'est pareil. Arras c'est la nostalgie, c'est des rues où on a aimé, pleuré, ris, raconté, vécu et puis voilà. Arras, je me la prends dans la figure chaque fois que j'y reviens, pour les mêmes raisons que j'ai voulu la quitter. Je l'aime dans le souvenir, j'y vis à moitié, je ne pose plus mes valises. Mais ne pas y penser, se dire que ce qu'on fait là, ici, ailleurs, au fond c'est pareil. Il faut juste s'y retrouver, répondre à ce besoin incessant de se trouver un but, quelque chose qui fait frémir, qui nous éclaire, qui nous enflamme. Parfois il n'y a rien. Du mouvement, que diable !
J'irais bien au musée. 

1 commentaire:

  1. Emouvante confession, très beau texte ... il a maintenant trois ans, je le lis au présent, avec toute la force émotionnelle qu'il dégage, puis, je me demande, en voyant la date: et maintenant, où en sont-ils, tous ? où en est-elle ? - et plus accessoirement - où est-elle ?

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