lundi 5 octobre 2015

Octobre rose

Octobre rose, c'est le mois international dédié à la lutte contre le cancer du sein. Partout des événements sont organisés. A Arras, ma ville natale, chaque 1er Octobre le Beffroi accueille des bénévoles pour une journée d'informations et un spectacle. A Madrid, une marche est organisée le 17 octobre. Je déteste un peu le rose, mais il fallait bien un jour que je dédie un article à ce mois et ce qu'il signifie. Aujourd'hui c'est un article un peu spécial, plus que les confessions d'une voyageuse, ce sont les confessions d'une jeune femme, et je vais vous parler de quelque chose qui me tient à cœur en essayant de rester polie et straight to the point, ce qui ,n'est pas une mince affaire ! 


Google Images
Quand j'avais 13 ans, on a diagnostiqué chez ma maman un cancer du sein. A l'époque, c'était un peu flou, je me souviens juste que le mot cancer m'impressionnait, qu'il annonçait des épreuves que je n'imaginais pas vraiment, que c'était un gros mot qui foutait la trouille, et surtout, qui normalement n'arrivait qu'aux autres, et aux autres ' vieux' d'ailleurs. Maman a été prise en charge à un stade assez développé à cause de plusieurs erreurs médicales, et elle a du passer par la chimiothérapie, la radiothérapie, deux opérations dont une mastectomie (ablation du sein) puis une reconstruction, elle aussi en deux opérations. C'était un traitement agressif, et on a vite compris le pourquoi du nom. Autrement dit, elle a perdu un sein, puis ses cheveux sont tombés par poignées, ses sourcils et cils aussi. Elle a passé des nuits à vomir, des journées sans énergie et sans pouvoir même se lever. Même dit comme ça, ça n'égale pas ce que j'ai pu voir ou entendre. Ça n'égale certainement pas sa façon de l'avoir vécu. Sa version est unique et je ne peux ni imaginer ni raconter pour elle. 
A la réunion d'information de ma rentrée en 2nde, elle portait un foulard et les yeux se posaient sur elle. Elle allait commencer la chimio quand j'ai passé le brevet. La mémoire est drôlement forte car elle a effacé la plupart de mes souvenirs de cette période à part ceux-là. Il n'empêche que j'ai vu maman dans un état où personne n'aimerait voir sa maman. Mon frère, ma sœur et moi étions des enfants, je suppose que cette épreuve nous a changé, nous a fait voir la vie d'une autre façon et nous a en tout cas appris à prendre soin les uns des autres. 
Et puis y a beaucoup de choses que je n'ai compris que plus tard, quand moi-même j'ai commencé à avoir de la poitrine, ou à m'interroger si oui ou non prendre la pilule, quand je me suis trouvée jolie pour la première fois en observant mes courbes, quand je suis devenue une femme comme on dit. C'est à ce moment là que je me suis rendue compte que malgré l'image que j'avais eu de la maladie, quelque chose de grave mais dont on guérissait,  je ne voyais pas à l'époque que ce cancer s'attaque à la féminité même, et touche à beaucoup plus d'aspects qu'on ne le voit. Il modifie l'image de soi, de sa sensualité, de sa sexualité. C'est une maladie qui en plus d'affaiblir considérablement, de nous faire passer par les pires moments des traitements et opérations, laisse aussi un vide physique et psychologique important dans des domaines intimes. C'est aussi un cancer qui laisse des séquelles que les gens jugent beaucoup sans savoir. Oui souvent aux survivantes du cancer, il leur manque un sein. Celles qui font de la chimio n'ont pas de cheveux. Ce sont de belles amazones modernes, souvent blessées par l'ignorance des hommes de notre époque, à la ville mais aussi à la plage. Comment est-il possible de s'assumer autrement en temps que femme alors que les autres ne sont pas capables de changer de regard et de s'informer sur les choses. 


Un landau à talons
Mais maman va bien. Très très bien. Aujourd'hui, elle est heureuse, elle est belle, elle resplendit et elle a passé la période de rémission depuis un petit moment, plus de traitement, plus rien. Tout ça est loin derrière.
Sauf que ça ne s'arrête pas là. Saviez-vous qu'après avoir été malade, beaucoup de droits ou démarches administratives essentielles deviennent soudainement plus difficiles même plusieurs années après la maladie ? Savez-vous qu'il devient plus difficile -voire impossible- d'avoir accès à l'adoption alors que certains traitements rendent stériles ? Savez-vous qu'il est extrêmement compliqué de créer son entreprise et de trouver une assurance qui veuille bien la prendre en charge ? 
Et tout ça probablement parce que cette maladie est considérée comme une maladie de personne âgée, que même le dépistage n'est pas remboursé avant 50 ans, et est même considéré comme inutile si vous n'avez pas un risque élevé ou très élevé de tomber malade.
Ma mère avait 36 ans. Et elle n'est pas la seule, je connais un certain nombre de femmes ayant développé un cancer du sein bien avant leur quarantième anniversaire. Je connais également une femme d'une trentaine d'année à qui on a refusé une mammographie parce qu'elle n'avait pas de quoi prouver ses antécédents familiaux, donc pas de raison valable. Il existe donc une campagne sur le cancer du sein, et même un mois qui lui est dédié, ce qui est un grand pas, un joli geste qui m'est cher et dont j'aime aider à la promotion. Mais cette campagne est à mon sens un peu incomplète, et ne parle pas assez des droits des personnes en rémission, ni des jeunes femmes qui sont également de plus en plus concernées. Heureusement il y aussi des campagnes artistiques parallèles, dans la BD, sur les réseaux sociaux, qui incluent un peu plus les femmes jeunes... Il ne faut pas les oublier.


Margaux Motin pour lachainerose.fr, site de témoignages.

Ce post, je l'écris pour maman, pour mes mamies, pour les femmes qui autour de moi s'en sont sorties, se sont soignées, qui sont belles et fortes malgré leur sein en moins, leurs peurs, leurs angoisses et leur colère parfois, souvent. Je l'écris aussi pour ceux qui ont perdu quelqu'un dans cette bataille cruelle.
Je l'écris au nom de ce que j'ai vécu, extérieurement, et du manque de délicatesse des gens autour de nous. Je vous invite à ne pas avoir peur d'en parler, à comprendre que le cancer n'est pas contagieux. J'ai encore le souvenir d'une camarade de classe qui était une des bourreaux du harcèlement scolaire banal et pourtant bien cruel que j'ai vécu pendant plusieurs années au collège. Un jour cette jeune fille est venue me parler car sa mère devait faire une mammographie et qu'elle avait peur. Elle venait me voir parce qu'elle avait la trouille. Et puis elle est revenue quelques jours plus tard, un peu triomphante, me dire que sa mère à elle allait bien, qu'elle était soulagée. Connasse, je me suis dit, connasse, connasse. Moi qui ne disait pas de gros mots, ahah. Mais ce n'était qu'une enfant, une pré-ado pas sympa. Et moi aussi, on dit que c'est méchant les enfants, alors on accuse le coup. Mais ça arrive aussi aux adultes, et beaucoup plus qu'on ne le pense. Pesez vos mots, contrôlez vos expressions, et surtout, surtout, arrêtez d'associer les gens à leur maladie. Le cancer ne définit personne, ma maman est beaucoup de choses, elle est chef d'entreprise, organisatrice de mariages, elle est talentueuse, gentille, impatiente, elle chante tout le temps, elle est maman de trois enfants, à l'écoute, remarquable, sensible, insupportable et niaise, magnifique et rigolote, elle est aussi, c'est vrai, survivante d'un cancer. Pourtant, malgré tout ce qu'elle est d'autre et de plus important, les assurances, les papiers à remplir lui rappellent sans arrêt qu'elle a été malade, et c'est tout ce qui importe. Il faut changer les choses.



Ce post, je l'écris aussi un peu égoïstement parce que je reconnais que j'ai probablement un risque élevé ( terme que je n'ai pas choisi) de tomber malade. Mes deux grand-mères et ma mère sont passées par là, et il y a probablement un médecin quelque part qui pourrait me donner un pourcentage précis de risques et de chances. Je ne veux pas savoir. Je veux vivre. Je veux vivre ma vie comme si j'étais sûre que ça aller m'arriver et en même temps comme si je savais que ça ne m'arriverait jamais. Je me sens quand même assez concernée pour en parler. Je veux  profiter des jours, de chaque jour en faisant ce que j'ai toujours voulu faire, en voyageant, en faisant le tour de cette terre en long en large et en travers, en recevant et donnant de l'amour, en profitant de tout et ne pas m'en vouloir un jour de ne pas avoir vécu pleinement cette vie qui est à moi et rien qu'à moi et si un jour un cancer dégueu veut m'attaquer, qu'il se tienne prêt, j'aurai tout vécu et je me battrai. Mais je veux aussi être prudente et forcer les portes qui se fermeront quand je demanderai des examens "avant l'âge normal pour se faire dépister".  Je fais aussi attention à moi régulièrement en palpant ma poitrine, ça peut paraître sexy ou ridicule, selon qui me lit, mais c'est important de se connaitre et de savoir tirer soi-même le signal d'alarme si quelque chose ne va pas. Renseignez-vous, car si on vous refuse les examens, on peut jamais vous refuser des conseils. Nous sommes les capitaines de nos vies. Il faut en prendre soin.




Ce post, je l'écris parce que je veux qu'on se rende compte qu'il n'y a pas d'âge pour tomber malade ni d'âge pour se rendre compte que la vie est fragile, la sienne et celle de ceux qu'on aime. Je veux qu'on arrête les moqueries et l'ignorance, les problèmes administratifs galères et inutiles et les airs désolés et effrayés. Je veux que cette maladie qui fait mon histoire familiale et médicale ne soit qu'un petit crabe noir tout moche qu'on écrasera du pied sans pitié. C'est ce combat et cette campagne que je veux mener.
En attendant, soutenons Octobre Rose, soutenons la recherche, parce que plus on en sait, plus on saura comment faire en sorte que plus personne ne passe par là. Il faut tuer le crabe rose. Alors allez. C'est parti.



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