mercredi 16 octobre 2013

Parce que parfois, un poème, c'est juste la plus belle chose du monde.

J'ai découvert Boris Vian avec l'écume des jours et l'herbe rouge au printemps dernier, motivée par la sortie imminente du film de Michel Gondry. Puis j'ai accroché, évidemment. Je lis un hors-série du Monde sur lui et son oeuvre en ce moment, qui est assez complet d'ailleurs, et je tombe sur ce poème. Je le connaissais sans l'avoir vraiment lu, sans l'avoir vraiment savouré. Pour une fois mon blog tient la promesse de son nom : c'est de la poésie, et je vous la fait partager, dans tout ce qu'elle a de plus noir, cru, beau, triste et drôle, en espérant qu'on ne vous ait pas trop forcé à le lire à l'école.  

Je voudrais pas crever
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d'égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu'on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j'en aurai l'étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j'apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d'algues
Sur le sable ondulé
L'herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L'odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l'Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s'amène
Avec sa gueule moche
Et qui m'ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d'avoir tâté
Le goût qui me tourmente
Le goût qu'est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir goûté
La saveur de la mort.

Boris Vian - Je voudrais pas crever

1 commentaire:

  1. Vian est simplement génial... Je sais pas si tu te rappelles de mon blog en terminale, le titre c'était "tout a été dit cent fois". C'était une référence à son poème, qui m'avait trop délivrée à l'époque, parce que j'osais plus écrire en me disant que de toute façon c'était pas terrible. Et bref, après avoir lu ça je me suis rappelée la raison pour laquelle j'avais commencé à écrire : parce que ça me fait du bien.

    (Ca doit être le premier commentaire que je poste depuis des mois, voire des années, ça fait trop trop bizarre x)

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